Cirque-théâtre d'Elbeuf DR

De nouveaux lieux dédiés au circulaire

Réhabilitation, travaux d’aménagement, construction… Les lieux s’adaptent pour recevoir des créations dédiées à la création circassienne, qui réclament des infrastructures spécifiques. Ménageant des temps de résidence pour les compagnies et des temps de diffusion auprès des publics, ces nouveaux espaces s’intègrent dans un projet global d’implication dans la cité.

03.01.2008

julie bordenave

2 Pôles Cirque en Normandie - La Brèche à Cherbourg, 2 Pôles Cirque en Normandie - Cirque-Théâtre d'Elbeuf, Circa, Cirque Jules Verne, La Cascade, le Prato

Les membres du réseau quadrillent le territoire pour contribuer à poursuivre une réflexion sur l’écriture circulaire, l’un des fondamentaux du cirque.

De la grande vague de construction en vogue en France au XIXe siècle, seuls sept cirques stables – ou cirques en dur - ont résisté et proposent aujourd’hui une diffusion cirque dynamique (1) : parmi eux, le Cirque Jules Verne d’Amiens, rénové en 2003, accueille dans ses locaux une programmation pluridisciplinaire, aves des temps forts ménagés au cirque et à la rue (Fête dans la ville chaque année en juin).

Autre symbole architectural, emblématique de la cité textile, le Cirque-Théâtre d’Elbeuf a rouvert ses portes en novembre dernier. Monument faisant partie du patrimoine normand – construit en 1892, alloué principalement au cinéma entre 1941 et 1963 –, le Cirque-Théâtre accueille à nouveau du cirque dans ses murs, après sept ans de programmation itinérante dans la région. A sa tête, Roger Le Roux, transfuge du Carré Magique de Lannion, s’attelle à relever les défis que représentent la gestion d’un tel établissement, le seul de ce type à faire cohabiter piste circulaire et scène frontale : « il y a un paradoxe dans cet équipement : il est principalement circulaire, la scène à l’italienne est essentiellement une scène de pantomime, haute, étroite, guère pratique pour des représentations frontales.

D’emblée, un tel outil pose le problème des écritures particulières pour la scénographie et l’architecture circulaires. 80% des œuvres du cirque contemporain aujourd’hui proposent un rapport en face à face, à la fois pour des raisons économiques - atteindre le réseau qui dispose essentiellement de salles frontales - et sociologiques – l’obligation de s’implanter sur un territoire pour obtenir des financements, et par là même de renoncer au nomadisme. De ce point de vue, l’essence même de la discipline risque de disparaître. Alors soit le cirque contemporain est en développement, et le défi passionnant que représente la gestion d’un tel lieu permettra de reposer un certain nombre de questions par rapport à l’écriture circulaire, qui procède d’une vision du monde. Si ce n’est pas le cas, on va se retrouver face à des problèmes d’adaptation complexes à tous les niveaux. Mais je pense qu’il va falloir créer des pièces spécifiquement pour le lieu ; les œuvres créées ici en résidence s’empareront de l’espace en question, comme ce fut le cas pour le spectacle d’inauguration : une commande bizarre, hybride, passée à une vingtaine d’artistes, et un metteur en scène, me donne quelques idées là-dessus.

Un spectacle porté par Jérôme Thomas – artiste associé - et Jean-Marie Madeddu, réunissant une partie des artistes programmés dans la saison : du Cirque Aïtal à la Crida Company, des Colporteurs à Marianne Michèle (au mât chinois), une manière ludique et élégante de parcourir le spectre de la création circassienne actuelle, à travers des petites formes adaptées au circulaire. Pas un hasard si Johann le Guillerm a été choisi pour être parrain du Cirque-Théâtre : « il énonce clairement "pas de cercle, pas de cirque", ce qui crée un débat avec Bernard Kudlak du Cirque Plume. Les deux sont programmés cette saison, et une conférence sera offerte à Bernard pour s’expliquer… Nous allons en effet initier un cycle de rencontres avec les artistes en profitant des temps de programmation et de résidence ; des parcours d’artistes, des conférences du type « mon histoire du cirque à moi », pour proposer différentes conceptions du cirque.»

Un lieu de résidence et de recherche à Auch en 2012

Outre les réhabilitations, un cirque en dur en ce début de siècle, ce peut être aussi une histoire à inventer de toutes pièces. Audacieux projet que la construction d’un cirque permanent à Auch, qui devrait être livré pour 2012. « Avoir un lieu qui permette principalement de pouvoir accueillir les compagnies de cirque en résidence de création ou de recherche, dans des conditions correctes, est un projet assez ancien sur Auch, explique Marc Fouilland, directeur de Circuits. On a toujours eu une grosse activité d’accueil en résidence à Auch, or depuis des années on souffre de ne pas avoir l’outil qui correspond. »

Le projet ? Disposer d’un outil qui permette à la fois d’accueillir des compagnies sous chapiteau (terrain équipé) et de travailler en intérieur (cirque avec un grand espace de travail d'une hauteur qui permette des accroches), pour ménager des temps de résidence et de diffusion : « Aujourd’hui à Auch, on ne dispose pas d’espace scénique important. Les scénographies évoluent, de plus en plus de spectacles ont besoin de plateaux de 10m sur 12 ; demain on pourra permettre aux Gersois d’avoir accès à des spectacles qu’aujourd’hui on ne peut pas leur proposer. On mise sur une douzaine de spectacles proposés par an. »

« Comment s’invente aujourd’hui un cirque en dur ? Le seul cirque en dur qui ait été construit ces derniers temps, c’est l’Académie Fratellini. Là on est sur un projet plus modeste en capacité de public, avec 900 à 1000 places au total, réparties sur deux configurations : environ 450 places en circulaire, et 700 places en frontal. » Autour de cet espace scénique, prendront place l’hébergement des artistes, les bureaux de Circuits, des ateliers, un espace campement et le terrain pour l'accueil temporaire de chapiteaux.

Situé en centre ville d'Auch, le long de la rivière du Gers, ce nouvel équipement prendra soin de créer des liens avec la programmation du festival Circa. Marc Fouilland veut en effet veiller à ce que Circuits reste une entité incluse dans un projet territorial global : « Le fait d’avoir un outil permanent va nous permettre de développer des temps de recherches et de travail, mais nous sommes très attentifs à ne pas évoluer dans le sens de la gestion de cet équipement : ce sera bien un outil au service d’un projet, et non un projet au service d’un outil. On continuera à faire des actions en dehors de cet équipement, à avoir un chapiteau qui tourne dans le département, à travailler avec des partenaires… »

Poussée transversale au Prato de Lille

Aux côtés des cirques en dur, d’autres structures se sont réaménagées récemment pour accueillir les spectacles dans les meilleures conditions possibles. Travaux de remise en forme pour Le Prato : implanté depuis 30 ans dans le quartier populaire de l’Entresol, le théâtre lillois a initié une vague de travaux il y a trois ans, pour inaugurer en octobre 2005 de nouveaux lieux « doublés en jauge et en formats de plateaux, explique Patricia Kapusta, secrétaire générale. Le plateau de 13m sur 13, avec 8m de haut, nous donne la possibilité d’accueillir du ballant ; la dimension cirque a été intégrée dans l’aménagement, en sachant qu’étant donné nos moyens et notre histoire, on est plutôt sur des formes petites et frontales de cirque. Les grandes formes de cirque, ou les cirques sous chapiteau, sont accueillies seulement sous couvert d’un temps fort, ou dans le cadre de compagnies que l’on suit, comme Jérôme Thomas ou le Cirque Trottola. »

Intégré dans l’histoire et le patrimoine lillois, Le Prato a connu une poussée transversale dès 1985, soutenu par la population locale : « après la fermeture du Marivaux - une grande salle de cinéma qu’on squattait - les spectateurs se sont mobilisés ; on nous a alors confié une petite salle polyvalente, qui était intégrée dans le projet de réaménagement de l’usine Leblanc – la première filature à avoir été réaménagée en 1979. Cette salle polyvalente a servi trois ou quatre ans aux compagnies amateurs, puis dès 1985 on s’est mis à revendiquer le moindre espace qui se libérait dans ces filatures, puisque les commerces fermaient un à un. Au fur et à mesure que les espaces fermaient, on les récupérait ; on est en convention avec la ville sur l’utilisation de ces espaces, dont on ne paie pas de loyer. »

Aujourd’hui, le quartier populaire de l’Entresol concentre un gros pôle culturel : outre Le Prato, y prennent place la médiathèque, et depuis peu le pôle universitaire Lille 1, dernière filature réaménagée en date : « il y a encore peu de temps, un bus d’ouvrières arrivait du Pas de Calais pour faire fonctionner cette usine… mais elles n’étaient plus qu’une vingtaine. » Ou quand l’action culturelle permet de faire vivre la mémoire collective d’un quartier populaire.

La brèche, infiltration des arts du cirque en Basse-Normandie

En Basse-Normandie, c’est dans les quartiers Sud Est de la Ville que le CRAC (Centre Régional des Arts du Cirque) est implanté depuis ses débuts : « au tout début, on n’avait rien du tout, petit à petit la ville a consenti à nous aménager un ancien terrain de foot qui servait aux fêtes de quartier, sur lequel on a installé les premiers chapiteaux. La programmation a démarré à l’automne 2000 », se souvient son directeur Jean Vinet. Du chemin a été parcouru depuis, pour que La brèche rayonne aujourd’hui comme l’un des principaux centres de création des arts du cirque en France.

Des premiers travaux de terrassement en 2003 permettent de réhabiliter le chapiteau en bois et toile du Cirque du Docteur Paradi, qui avait servi à la création du spectacle Le Baiser de l’Auguste : « ce chapiteau était assez complexe à monter et démonter, et le spectacle n’allait pas tourner. L’idée des financeurs et des partenaires publics était de lui trouver une deuxième vie. Afin de l’implanter de manière définitive dans un quartier, j’ai proposé de construire une salle de travail à côté, car le chapiteau ne requiert pas les conditions de travail nécessaire pour la création aujourd’hui », explique Jean Vinet.

Le projet d’investissement avec cahier des charges et concours d’architecte qui est alors lancé donne lieu à l’ouverture de La brèche, en octobre 2006. Sa particularité ? Un lieu « quasi exclusivement dédié à la création, à l’accueil de compagnies en résidences, et non pas un lieu de diffusion, ce qui est assez unique dans le domaine du cirque sur le territoire. Notre planning n’est pas calé sur le calendrier de la diffusion, mais sur le temps de la création, ça change tout ; par rapport aux projets en tant que tels, aux aléas de la création, et dans le rapport à l’espace, au lieu, à l’implication dans la cité, c’est totalement différent. »

Les artistes en résidence disposent d’un équipement adapté à leurs besoins : une salle de répétition et de spectacle totalement modulable, d'une superficie de 900m carrés, couronnée d'une coupole cylindrique, de 22m de diamètre et d'une hauteur de 15m, pouvant accueillir de 200 à 700 spectateurs. Le plateau est surmonté d’un gril technique, « un trampoline pour se déplacer en hauteur en sécurité, autorisant le passage des câbles et permettant d’utiliser toute la structure mécanique pour pouvoir faire les accrochages. C’est un processus développé par le Cirque du Soleil, réutilisé à l’école de cirque de Montréal, et importé en France à l’Académie Fratellini ; je pense qu’une telle structure va être amenée à se développer, elle permet d’utiliser la totalité de la structure pour pouvoir accrocher le matériel. »

Des conditions d’accueil qui permettent au Centre de développer un projet articulé autour de quatre axes : commande, fabrique, relais et aiguillage, et transmission, à travers l’accueil des rapporteurs, ces « témoins rendant compte de la culture et de la richesse du cirque ». La brèche ménage des temps d’expérimentations entre les artistes, autour de laboratoires récurrents (à venir du 25 mars au 20 avril et du 19 au 23 mai : laboratoire de François Verret avec Julien Cassier, Jean-Baptiste André et Mika Kaski), suivis de temps de rencontres avec les publics : « La brèche privilégie les étapes menant à la création des œuvres contemporaines et qui emprunte au cirque cette rare capacité d'hybridation, rendant possible un espace de rencontre entre les artistes et les publics en dehors des codes figés par le temps. »

La Cascade et La Verrerie, deux pôles cirque dans le Grand Sud

Enfin, deux autres lieux vont ouvrir leurs portes dans le Grand Sud d’ici la fin de l’année 2008. Portée par deux compagnies professionnelles, les Nouveaux Nez et les Colporteurs, La Cascade, Maison des Arts du Cirque et du Clown va consacrer sept ans d’action culturelle de l’APIAC (Association de Préfiguration de l'Institut des Arts du Clown) dans la région Rhône-Alpes : un lieu dédié à la création, à la transmission, à la recherche et à la diffusion, dans lequel « le quotidien de l’artiste, son entraînement, seraient considérés comme un acte créatif… ».

Hébergée à Bourg Saint-Andéol, autour du cloître intérieur de l’ancien pensionnat Saint Joseph - bâtiment appartenant au département de l’Ardèche - dans le quartier historique de Tourne, La Cascade disposera de multiples espaces de travail et de représentations (salle de représentation, terrain de jeu pour les aériens, salle de danse, petites salles de travail, espace chapiteau). Une importance sera aussi accordée à la transmission : en cohérence avec les écoles de cirque pré professionnelles de la région (Chambéry et Ménival), La Cascade facilitera les parcours d’artistes menant à la professionnalisation, à travers la présence permanente des Nouveaux Nez, et la direction artistique portée par l’artiste clown Alain Reynaud. Temps fort à venir en avril (voir agenda), avant l’inauguration officielle du lieu le 5 juillet.

Plus à l’ouest, c’est à Alès en Cévennes, dans le Languedoc-Roussillon que La Verrerie sera inaugurée à la rentrée prochaine, venant couronner 4 ans de rayonnement intensif sur tout le territoire : « C’est avant tout un lieu central de recherche-répétition-résidence-monstration arts de la piste… Ainsi que le siège administratif du Pôle Cirque qui a une vocation territoriale très développée sur l’ensemble du Languedoc-Roussillon - autant du point de vue de la production, des résidences, et de la co-diffusion - avec ses 30 co-partenaires généralistes : scènes nationales, scènes conventionnées, théâtres des villes, saisons culturelles des communautés de communes… », explique Guy Périlhou, directeur du Pôle Cirque.

S’articulant autour du lancement des projets de réhabilitation de l’ensemble des bâtiments concernés – une ancienne verrerie du quartier de Rochebelle regroupant salles de répétitions, hébergements et vie, répétitions, plateaux… et un espace chapiteaux – , le projet vise à donner un lieu permanent à La Verrerie, implanté dans des locaux administratifs temporaires depuis 2004.

De meilleures conditions d’accueil pour « intensifier des temps de résidence, mais surtout les recentrer sur le poumon de notre projet (objectif de 220 jours de résidence dont au moins 120 à 150 sur Alès à la Verrerie…) et donc augmenter les confrontations au public, les croisements… Ce ne sera pas un lieu de diffusion à proprement parler, sauf dans le cas des co-accueils de spectacles avec la Scène Nationale d’Alès, dont certains pourront s’y dérouler notamment lors de notre opération commune « Cirque en Marche » en novembre. » Inauguration prévue à l’automne prochain.

(1) Paris, Reims, Elbeuf, Châlons en Champagne, Douai, Troyes et Amiens.

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