Lorsque le circassien se retrouve seul en piste, c’est parfois pour creuser une intimité, remonter aux racines d’une vocation, tenter de définir sa juste place. La mise en danger délibérée, la recherche d’un équilibre à réajuster sans cesse, se fait l’expression de problématiques universelles.
12.10.2008
Julie Bordenave
A l’issue de multiples collaborations, Angela Laurier choisit de prendre la parole à travers sa première création en 2007 : road movie intimiste porté par des entretiens vidéo, Déversoir permet à la contorsionniste de démêler les fils de son histoire familiale. Si l’artiste se défait d’une camisole à son entrée en scène, c’est pour mieux la recréer ensuite, à travers les contraintes infligées tôt à son corps ; une manière biaisée de parvenir à s’exprimer, de s’extraire du poids d’un héritage familial paralysant, coincée au sein d’une fratrie nombreuse entre un père tout puissant et un grand frère schizophrène. A l’aube de ses 46 ans, ce spectacle se présente comme un bilan à mi-parcours : « Je voulais arrêter la contorsion, retourner au Québec, renouer un rapport avec mon père et mon frère Dominique. La pièce Mon grand frère, écrite en 1999, retranscrivait déjà nos rapports au quotidien. Mais je voulais revenir sur cette histoire, faire entendre leur parole. J’ai eu besoin de prendre la caméra pour reprendre un contact, sans savoir ce que j’allais faire de ces entretiens. Quand j’ai montré les images à Guy Walter, des Subsistances, il m’a dit qu’il fallait en faire quelque chose. Je ne savais pas comment me positionner, je me suis alors remise à l’entraînement. »
Déversoir permet à l’artiste de remonter aux origines de sa vocation, mettant en lumière de manière crue la thématique de la folie : « C’est un parallèle entre la folie de mon frère et la mienne, une folie du corps : l’entraînement aussi est une aliénation, refaire les mêmes mouvements tous les jours, je ne supportais plus… j’avais besoin de raconter ça. Mes débuts en contorsion coïncident avec les débuts de Dominique en psychiatrie. J’allais beaucoup le voir dans son institut, et parallèlement je m’entraînais seule dans un gymnase. C’est en voyant la contorsionniste du premier cirque chinois venu à Montréal que j’ai su que je voulais faire ça : ce masque impassible qui va dans les extrêmes… Etant gymnaste acrobate, j’avais des dispositions. Il fallait que je pratique cette parole du corps. Cette angoisse que je portais tout le temps, c’est seulement en m’entraînant que j’arrivais à l’évacuer, à m’anesthésier. Je me mettais à bout pour dormir le soir et me vider la tête. Pour beaucoup de jeunes, la pratique physique est aussi un exutoire, une manière de fuir un rapport difficile à la famille. »
Un corps pour reprendre la parole
Si Angela travaille encore à « trouver sa propre parole » (travail en cours sur sa nouvelle création J’aimerais pouvoir rire), le langage de sa contorsion, quant à lui, a déjà évolué : « C’est en voyant un reportage sur les yogi en Inde – qui font l’aumône à 80 ans dans des positions incroyables, les pieds derrière la tête, tout détendus – que je me suis dit que je pourrais continuer. Tant que tu ne t’arrêtes pas, tu continues.... Mais ma contorsion s’est transformée, je n’enchaîne plus les numéros de cirque – performances sur la force, équilibres de bras… – comme avant… Maintenant, je tiens de longues poses, et c’est ça le plus difficile : en contorsion, tu passes généralement d’une position à l’autre pour reprendre ton souffle. Tenir des positions et respirer, ça contracte les muscles, ça teste la résistance. J’ai aussi enregistré tous les sons du corps, les craquements, les respirations, je place un micro sur un stéthoscope ou sur mes cordes vocales… C’est peut-être ça le plus douloureux, cette bande son intérieure. »
Accoucher de soi, comprendre ce corps, en exposer les fêlures… Avec PPP, le jongleur Philippe Ménard propose une création d’une sensibilité à vif, en s’attaquant de front au sujet de l’identité de genre : terrain glissant au sens strict, qu’il choisit de traiter à travers la manipulation de glace. Mise en danger de l’individu au sein d’un territoire hostile, PPP a de multiples entrées. Au-delà de la fragilité universelle de l’être humain, les douloureux paradoxes de la condition transgenre font écho à la position intenable du jongleur : « J’ai cent balles de glace suspendues au dessus de ma tête : quand l’une tombe, elle se casse. C’est l’épée de Damoclès du jongleur : il est coincé entre les objets en suspension, et ceux qui s’éclatent par terre et n’ont plus d’existence. L’intervalle, c’est l’existence du jongleur. » (lire par ailleurs l’entretien avec Philippe Ménard).
Solitude de l’humain, précarité d’un équilibre instable à réajuster sans cesse : certains en parlent aussi de manière comique, maniant le non sens de façon jubilatoire. Rémi Luchez se joue de cette faculté qu’a l’être humain de se mettre en danger de manière outrancière. Evoluant dans la nébuleuse Nikolaus (accompagnement par la cie Pré-O-Ccupé, regard extérieur de Pierre Déaux), Rémi partage avec le clown suisse une même volonté de se placer délibérément en situation inextricable. A travers une construction improbable (un fil de fer hissé à la force du poignet entre 4 piquets de bois), il se fait dans Miettes l’artisan de sa propre chute. Installation à vue dans le silence le plus total, air détaché… ou comment se donner une contenance dans les positions les plus incongrues et inconfortables. Un penchant pour les démonstrations par l’absurde, une mise en scène qui affectionne le dénuement, pour en revenir à l’essentiel : singer, sous des airs de fausse désinvolture, la ténacité parfois dérisoire de l’être humain, le rendant touchant et incroyablement proche.
Angela Laurier
Déversoir
15 octobre Théâtre de l’Agora, Boulazac
19 octobre, festival Novog Cirkusa (Croatie)
Du 22 au 24 octobre, Scène nationale d’Orléans
7 novembre, Théâtre des Bergeries, Noisy-le-sec
Du 20 au 22 novembre, Festival Mettre en scène (Rennes)
Les 27 et 28 novembre, Le Carré des Jalles, Saint Médard en Jalles
20 janvier, Théâtre d’Arles
Du 17 au 19 mars, Théâtre de Sète
Les 8 et 9 mai, Le Manège de Mons (Belgique)
15 mai, Bonlieu scène nationale, Annecy
J’aimerais pouvoir rire
Résidences de création 2008-2009 :
Du 14 au 31 décembre La Brèche, Cherbourg
La Verrerie d’Alès, pôle cirque Languedoc Roussillon
Création octobre 2009, les Subsistances, Lyon
Rémi Luchez (Lauréat Jeunes Talents cirque 2008), Miettes
Calendrier des résidences passées :
La Cascade – Bourg Saint Andéol (automne 2007)
Open-Arts, Le Quai, Angers (avril/mai 2008)
Manège de Reims (juin 2008)
Espace Simone Signoret de Vitry le François (septembre 2008)
Le Carré Magique à Lannion (septembre/octobre 2008)
Résidences à venir :
Du 3 au 16 novembre, Le Manège de Reims
Du 24 novembre au 12 décembre, Le Sirque, Pole cirque de Nexon en Limousin
Du 23 février au 3 mars, Les Subsistances, Lyon
Calendrier des représentations :
13 janvier : La Merise Trappes (création)
Les 17 et 18 janvier : Espace Albert Camus, Maurepas
31 janvier: Equinoxe, Châteauroux
Les 7 et 8 février : Centre Culturel Jean Vilar, Marly Le Roi
mi février : deux dates au Quai à Angers (représentations confirmées mais dates à caler)
Les 8 et 9 mars : Les Halles de Schaerbeek, Bruxelles (BE)
13 mai : Le Carré magique, Lannion
15-16 mai : Théâtre de Villepreux
18-19 mai : La Merise de Trappes
2-4 juin : Festival Toi Cour Moi Jardin, Le Trident, Cherbourg
26-28 juin : festival Le Mans fait son cirque
Production : Compagnie Pré-O-Ccupé
Co-productions : Le Manège, scène nationale de Reims; Le Carré Magique, scène conventionnée de Lannion-Trégor; Open-Arts – Le Quai, Angers.
Spectacle créé avec le soutien de: Jeunes Talents Cirque Europe 2008; Conseil Général des Yvelines; La Merise de Trappes; Créat’Yve, réseau de Théâtres en Yvelines; la Ville de Sainte Tulle; Le Sirque – Pôle Cirque de Nexon en Limousin; l’Espace Simone Signoret de Vitry-le-François; Les Subsistances, Lyon, 2009.