La Nuit du Cirque

14.10.2019

Philippe Le Gal

Ne nous méprenons pas, le cirque n'est pas l'art du divertissement. Le cirque de création est Art, avant tout.
Un art protéiforme, sans tabou, rugueux, solidaire, contradictoire. Un art à haut risque selon les disciplines sollicitées, qui exige un sens puissant du collectif. Ce n'est pas un art neutre, aucun sujet, s'il en fait le choix, ne lui échappe. C'est un art où la dramaturgie compte, du récit à l'abstraction la plus formelle. Un art du vertige qu'il mette en jeu l'acrobate ou le clown. Il a ses figures tutélaires, ses avant-gardes et... il sait aussi divertir les publics.
Le 15 novembre 2019, La Nuit du Cirque en sera l'illustration.

Une Nuit pour rappeler le chemin parcouru depuis le milieu des années 1970 avec l'émergence du Nouveau Cirque jusqu'à la création des dix premiers pôles nationaux cirque en 2010, sans oublier 1985, qui a vu la création du Centre national des arts du cirque, lieu de la formation d'excellence des artistes, et 2001, Année des arts du cirque, premier focus national du ministère de la Culture ouvrant largement la diffusion du cirque contemporain au-delà des seuls réseaux spécialisés.
Qu'en est-il en 2019 ? La pratique amateur est présente partout, accessible dès le plus jeune âge, les formations professionnelles foisonnent, les compagnies se multiplient, leur diffusion est large et franchit allègrement les frontières. Le rayonnement du cirque de création est avéré, en témoigne l'ampleur des publics.Ce cirque-là est résolument populaire. Constat engageant, optimiste.

Pourtant, avec ce rendez-vous festif, Territoires de Cirque tire une première sonnette d'alarme.
Ne nous leurrons pas, nous ne pouvons continuer ainsi sans agir en profondeur pour accompagner les mutations déjà à l'œuvre. Il en va de l'ambition d'un art en pleine maturité comme d'une politique pour les arts vivants. Celle-ci doit être affirmée et portée par des actes forts. Création ici, engagement là.
Territoires de Cirque a initié ce rendez-vous avec une volonté d'ouverture et de partage, avec et pour les publics, les institutions, les acteurs culturels. Mais ça ne suffit pas car un double constat s'impose :
Le cirque de création n'est pas un cirque d'enseignes commerciales où le recours à la tradition, couplé à une dimension patrimoniale auto-proclamée, est sans cesse invoqué pour masquer les carences d'une économie délétère sans parler de la faiblesse voire de l'absence de tout acte créatif et la perte de résonance auprès des publics d'aujourd'hui, qui s'interrogent à juste titre sur la présence des animaux sauvages encagés. Ce cirque en crise ouverte sème la confusion dans l'esprit du législateur qui ne peut mettre sur le même plan le cirque de création pleinement investi dans les politiques publiques et ces enseignes pour le moins agressives. S'il y a nécessité de leur venir en aide, ce que ne conteste pas Territoires de Cirque, ce n'est pas du ressort du ministère de la Culture et de ses crédits dédiés à la création mais bien de celui des instances publiques et économiques ad hoc.
Le cirque de création constitue un formidable outil au service de politiques publiques qui placent les artistes au centre de leurs préoccupations. Le maillage des territoires en matière de juste accès à la culture est au cœur du travail quotidien des membres de Territoires de Cirque, le chapiteau en est un emblème parfait. Il offre une somme de possibles incomparable par sa mobilité, sa dimension symbolique ; il n'est en rien intimidant et ne cède en rien sur le plan de l'exigence artistique. De surcroît, il s'exporte aisément de même que les créations circassiennes dans l'espace public. Le dynamisme que l'on ne manque de souligner – le cirque investissant tout à la fois saisons culturelles, festivals, temps forts, espaces atypiques – masque toutefois une insuffisance aiguë de crédits.

Le dire n'est pas une simple figure rhétorique, c'est une réalité indéniable :
• Comment pouvons-nous envisager à périmètre budgétaire constant l'évolution d'un art dont on mesure chaque saison le haut degré d'inventivité et l'extrême richesse humaine, quatre générations d'artistes se côtoyant aujourd'hui sur scène ?
• Douze pôles nationaux cirque en tout et pour tout invités à absorber l'émergence, fruit d'une politique volontariste en matière de formation supérieure, est-ce bien raisonnable ?
• Et les mêmes grandement sollicités pour accompagner les équipes qui souhaitent créer sous chapiteau, n'est-ce pas un peu court ?
• Invités également à offrir des espaces de pratique techniquement dédiés, de recherche aux jeunes artistes mais aussi aux équipes confirmées, n'est-ce pas un peu trop ?

Certes la production circassienne n'est pas l'apanage des seuls pôles nationaux cirque, et c'est heureux, mais dans le contexte actuel de stagnation des budgets d'intervention, la tentation du repli sur son champ artistique de référence – théâtre, musique, danse, marionnettes, … – est grande.
D'où l'enjeu pour Territoires de Cirque de rassembler des structures aux contours et objectifs différents mais avec pour fil rouge le même attrait commun pour le cirque de création. Cette réussite nous offre la ressource indispensable à la réalisation de cette première Nuit du Cirque.
Le sens du collectif nous anime, l'intérêt public est notre adn, et les artistes en sont les catalyseurs. Cette place prise par le cirque de création aujourd'hui sur la grande scène du spectacle vivant mérite vraiment qu'on y prête une attention particulière. Le cirque est résolument un Art majeur.

Philippe Le Gal
Président de Territoires de Cirque