Quand on parle « cirque en Normandie », il est d’usage de distinguer Haute-Normandie et Basse-Normandie. Le point avec Roger Le Roux (directeur du cirque-théâtre d’Elbeuf) qui affiche sa volonté de mettre en place un projet transrégional où « Normandies » Haute et Basse joindraient leurs forces, avec la complicité de la Bretagne.
21.11.2009
Lisa Conty
2 Pôles Cirque en Normandie - La Brèche à Cherbourg
En matière de cirque, il n’y a pas une tradition de collaboration entre Haute et Basse-Normandie ?
Roger Le Roux : Entre Haute et Basse-Normandie, les choses démarrent. Avec Jean Vinet de la Brèche à Cherbourg nous échangeons sur différents projets. Nous réfléchissons actuellement à un projet transrégional, en complicité avec le Carré Magique de Lannion. La volonté est clairement affichée, même si on ne s’est pas encore accordés sur la forme que pourrait prendre ce projet, mais nous n’avons pas encore les moyens de le financer. L’idée est de solliciter nos collectivités respectives, l’idéal serait d’obtenir un financement spécifique interrégional. Mais c’est assez compliqué dans le contexte de la commission Balladur et du rapprochement des deux Normandies, chacune aspirant à héberger la capitale régionale. Saura-t-on convaincre les élus ? Affaire à suivre…
En attendant, comment vous situez-vous dans le paysage circassien de votre région ?
RLR : L’engagement en faveur du cirque (contemporain) en Haute-Normandie est assez récent. Il a fallu que l’agglo se constitue pour que le Cirque-Théâtre d’Elbeuf soit réhabilité après 20 ans de tergiversations. Fallait-il restaurer ou faire du neuf, plus fonctionnel et moins coûteux ? Les gardiens de la mémoire l’ont emporté et les travaux ont débuté en 2004. Aujourd’hui, c’est un lieu extraordinaire à tous points de vue : le dernier cirque-théâtre de France, qui réunit un théâtre à l’italienne et une piste de cirque. C’est aussi la seule structure exclusivement dédiée au cirque en Haute-Normandie. Il a rouvert en décembre 2007 après un temps de préfiguration : en 2001, à la faveur de l’année des arts du cirque, il a été d’emblée désigné Pôle Cirque. Aujourd’hui, c’est un lieu ressource régional, qui travaille avec de nombreux partenaires sur le territoire, pour déghettoïser les arts du cirque, et les faire sortir des lieux de cirque.
Être « Pôle Cirque », qu'est-ce que cela implique pour vous ?
RLR : Les Pôles Cirque sont nés pour l'Année des arts du cirque. Aujourd'hui, ils forment un réseau militant, très actif, qui s’est élargi avec l’association Territoires de Cirque (TDC). Désormais, ce sont 27 structures qui œuvrent, travaillent ensemble, se réunissent, produisent des textes, de l’écrit, du sens… Quant aux pôles cirque, ils sont en passe d'obtenir le label officiel de « pôles nationaux des arts du cirque ». On espère. En tous cas, le Cirque–Théâtre d’Elbeuf est aujourd’hui reconnu comme un lieu emblématique de diffusion du cirque, et qui va favoriser la production, le soutien à la création étant la mission première du lieu. L'idée est aussi d'encourager la naissance de grandes formes. On va se consacrer par exemple à la dernière création de la compagnie XY, Le Grand C, qui rassemble 18 artistes porteurs et voltigeurs. Et ce en partenariat avec le pôle cirque de Cherbourg, qui fait également partie du réseau TDC.
Existe–t-il chez vous des dispositifs régionaux en faveur des arts du cirque ?
RLR : En Haute-Normandie, il n’y a pas de dispositifs spécifiques. La région aide au coup par coup sur des projets. Cela n’a rien d’étonnant : pour la plupart des collectivités, la politique en faveur des arts du cirque est balbutiante - le nouveau cirque a 40 ans - mais elle a rejoint le cortège. Les collectivités se structurent donc autour de lieux. Il n’empêche, l’implication de la région est forte. Elle est là, en écoute, en observation, et finance le cirque-théâtre, à hauteur de 350 000 euros en 2010. L'agglo contribue quant à elle à hauteur de 800 000 euros, et le conseil général de Seine Maritime met 310 000 euros. On peut y ajouter 70 000 euros du département de l'Eure (qui nous a rejoints en 2008), pour un budget global de 2 100 000 euros. C'est le financement d'un EPCC (établissement public de coopération financière), bâti autour d’un cahier des charges assez précis. On couvre la totalité des acceptions cirque, du néo-classique jusqu’au cirque de recherche. Nos missions : soutien à la création et production, puis programmation/diffusion, travail d'action culturelle et sensibilisation à l'éducation artistique, insertion professionnelle, accompagnement et professionnalisation des jeunes issus de Rosny-sous-Bois et du CNAC...
Avez-vous pu néanmoins mettre en place des collaborations avec les acteurs de votre région ?
RLR : LE projet à l’initiative de la région et des deux départements qui la composent, c’est le festival Automne en Normandie. Un festival sans lieu donc obligé de travailler avec des structures partenaires. C’est une grosse machine qui nous a permis de financer des projets de plus grande envergure. Par exemple, à l’ouverture du Cirque-Théâtre – dont Johann Le Guillerm est le parrain - , on a pu créer une grosse opération autour de lui, montrer la partie spectacle vivant et la partie recherche plastique de son travail, exposées sur trois lieux, sous trois chapiteaux. La prochaine édition du festival sera aussi particulière, puisque j’organise la tournée nationale du collectif suisse-allemand Kollektivgesellschaft, qui donnera notamment entre 16 représentations de son spectacle InStallation en Normandie. Le reste tient à des complicités : entre les directeurs de structures de la région Haute-Normandie, nous avons mis en place divers modes de collaboration.
Hors festivals, de quel type de collaborations parlez-vous ?
RLR : Nous travaillons depuis deux saisons avec la scène nationale de Petit-Quevilly. En 2008, nous avons accompagné ensemble (à parité, sur nos deniers respectifs) de jeunes artistes : la Crida Company, qui a bénéficié de résidences et d’accompagnement à la diffusion en Haute-Normandie ; et Etienne Saglio, dont le spectacle Le Soir des monstres, créé dans la région, est promis à une belle et longue vie. Pour la saison prochaine, on n’a pas réussi à s’accorder sur un seul artiste. Donc en avril on va organiser un temps fort, « Passions d’avril », avec 5 ou 6 compagnies qu’on a envie d’accompagner, de mettre en lumière. Ca se passera sur une dizaine de jours, 24 ou 25 représentations entre nos deux maisons, séparées de 20 km. On verra là, entre autres, le Cirque Précaire de Julien Candy, la compagnie Ieto issue de l’école du Lido à Toulouse, Tanguy Simonneaux qui fait de la roue allemande, la compagnie Un loup pour l’homme… Par ailleurs, avec Le Volcan, au Havre, nous avons la volonté de travailler en co-production sur la création du Cirk Vost – les plus jeunes des Arts Sauts, qui se sont reconstitués en compagnie. Ca s’appellera Epicycle, du nom d’un agrès qu’ils ont inventé, une grande roue d’écureuil, vraie folie scénographique, puisqu’il s’agit de faire construire un chapiteau sur mesure ! La création mondiale aura lieu à Elbeuf en janvier 2010. Reste DSN, la scène nationale de Dieppe. Pour l'instant on se tourne autour, on n'a pas encore trouvé le projet qui colle avec l’esprit de nos maisons, une manière d’aborder les arts du cirque. Mais tout est affaire de dialogue. Les partenariats se construisent dans la durée.
Quid du projet interrégional entre Haute et Basse-Normandie ?
RLR : Là encore, l’idée qui sous-tend ce projet est d’augmenter la diffusion, le nombre de points d’ancrages, en mutualisant les moyens des trois régions, acteurs et structures. En résumé, de faire en sorte que les artistes soient vus ! On tente donc de monter une mission avec l’ODIA, office de diffusion sur les deux Normandies, pour analyser les dispositifs existants ou à créer entre les deux régions. On en a marre de ces spectacles qu’on produit et qui sont joués dix fois, marre de dilapider l’argent de production pour des spectacles qu’on n’arrive pas à faire tourner ensuite ! Mais j’ai l’impression que les collectivités s’y intéressent de plus en plus, elles sont fortement impressionnées par le public au cirque-théâtre par exemple, dans une période où les formes ont du mal à trouver leur public.
Alors, confiants ?
RLR : Oui, si on sait préserver l’essence du cirque, la dimension de la prouesse, de la limite repoussée, de l’extraordinaire (je crains parfois que le cirque s’en éloigne, se formalise, se conceptualise). Oui, si on favorise les espaces de recherche qui feront le cirque de demain. Oui, si on parvient à préserver la dimension événementielle que nous proposent les arts du cirque, et qui en font une grande fête populaire magnifiant la condition humaine. Seuls les arts du cirque sont capables de générer ça à grande échelle. Bien sûr, j’ai déjà vu 3 000 personnes vibrer en commun dans la cour d’honneur d’Avignon : mais le cirque a ceci de particulier qu’il n’impose pas de code, de connaissance préalable.
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