Languedoc-Roussillon : de la scène nationale à la scène vicinale

La région Languedoc-Roussillon se présente un peu comme un cas d’école en matière d’irrigation du territoire dans le domaine du cirque.

Marqué par un historique fort – installation de la mythique compagnie Archaos pendant 7 ans dans les terres d’Alès en Cévennes – et porté par l’emblématique Guy Périlhou, La Verrerie, Pôle Cirque Région Languedoc-Roussillon, a tissé au fil du temps un réseau au plus près des réalités du terrain, lui permettant de mener un travail de fond avec 48 structures co-partenaires sur l’ensemble de la région.

24.11.2009

Julie Bordenave

La Verrerie d'Alès

Sensibilisée aux arts du cirque par son historique singulier (la Verrerie, lieu de « brassage cirque » dans les années 90 autour d’Archaos), la région Languedoc-Roussillon est dopée par l’expérience volontariste de Guy Périlhou, directeur de La Verrerie, Pôle Cirque Région Languedoc-Roussillon, fort d’une solide expérience dans le domaine du cirque et des politiques culturelles (travail pendant 5 ans sur l’évaluation et la mise en place des politiques contractuelles état / collectivités locales en matière de développement culturel sur le territoire du Languedoc-Roussillon ; directeur de production du cirque Gosh pendant 8 ans ; création d’un lieu de regroupement de plusieurs compagnies circassiennes sur un site dans les Cévennes autour d’Alès, à la fin des années 90 ; travail en conventionnement sur la programmation cirque avec la scène nationale d’Alès et une scène conventionnée sur le département de la Lozère…). Cette double casquette a permis à Guy Périlhou de peaufiner une connaissance du territoire et de ses opérateurs sur le terrain, et d’y constituer un réseau finement maillé.

Des compagnonnages de trois ans

Le fonctionnement singulier de La Verrerie, est bâti exclusivement sur les réseaux : « La Verrerie coproduit une dizaine de projets par an, qui bénéficient de résidences organisées sur l’ensemble du territoire Languedoc-Roussillon, avec et chez les co-partenaires du Pôle Cirque », explique Guy Périlhou.

Le soutien aux équipes artistiques se construit sur la durée - résidences sur plusieurs endroits du territoire, impulsion de rencontres, avec des artistes tels qu’Angela Laurier, Mathurin Bolze, la compagnie XY… De manière plus approfondie, des conventions de compagnonnage d’une durée de trois ans – assortie d’une 4e année de tournée de sortie – s’établissent : « plus que d’accompagnements, je parle même de "mariages". Trois compagnonnages sont en cours. Nous essayons de garder des esthétiques et des formats différents, dont au moins toujours un projet sous chapiteau : en ce moment, c’est la compagnie Rasposo, qui achève sa 4e année de compagnonnage en janvier prochain. Je travaille avec eux à la restructuration de la compagnie depuis quelques années – les enfants de la famille Molliens prennent le relais de leurs parents. La compagnie est installée en Bourgogne, je ne passe pas trois mois sans aller un ou deux jours chez eux, surtout en période de création. » La crédibilité artistique de leur précédente création - Parfums d’Est, dont La Verrerie a été seul coproducteur - a permis de trouver 12 co-producteurs pour Le Chant du dindon, création 2009 ; cinq étapes de tournée sont prévues dans la région d’octobre à décembre, pour plus de 20 représentations.

Le deuxième compagnonnage en cours concerne la compagnie Hors Pistes, fondée par Vincent Gomez, transfuge d’Anomalie : « il habitait dans l’Aude, une terre assez déserte au niveau artistique, je l’ai incité à y monter sa compagnie. Coma idyllique a été créé la saison dernière, et a bénéficié d’une tourné de création de 40 dates sur la région. La tournée de création est un pari risqué, à double tranchant, mais fait aussi partie de notre travail : sortir le travail dans des endroits relativement peu exposés, jouissant d’un excellent rapport convivial, permet au spectacle de prendre le temps de mûrir, et d’aller à la rencontre de professionnels dans un événement comme Circa (novembre 2008) avec 25 dates derrière lui. Du coup, 70 dates se sont calées pour la saison prochaine. Pour la saison qui arrive, je leur ai fait commande d’un format de 20 minutes qui tournera sur les 6 lycées de l’Aude, et qui sera le fil conducteur des plateaux partagés que nous organisons avec nos co-partenaires les “plus téméraires”. »

Troisième compagnonnage en cours : La Faux Populaire - Le Mort aux dents, pour son spectacle Le Cirque Précaire : « une toute jeune compagnie portée par Julien Candy, artiste de très grand talent, accompagnée par le Pôle Cirque dans l’ombre depuis trois ans. En plus de la coproduction de départ, nous avons mis à leur disposition un petit chapiteau, avec régisseur et remorque. Le spectacle a beaucoup tourné la saison dernière, plus de 120 représentations sont calées pour la saison prochaine. C’est le spectacle porté par la région Languedoc-Roussillon dans le dispositif interrégional Itinéraire de cirque en Massif Central.<:i> » (Lire par ailleurs l’article : Itinéraire de Cirque en Massif Central).</:i>

De la scène nationale à la scène vicinale

Le partenariat, établi avec l’ensemble du réseau généraliste de la région, porte sur la diffusion des spectacles soutenus par La Verrerie en création ou en pré-achat, voire sur des spectacles non coproduits, mais dont le Pôle Cirque défend la ligne artistique. Le maillage du réseau est serré : 48 conventions sur l’ensemble des 5 départements, concernant aussi bien les scènes nationales que les scènes "vicinales" : « celles qui rapprochent les voisins des communautés rurales. Chaque convention est différente. Les scènes nationales doivent accueillir au moins un chapiteau par saison, sur un lieu décentralisé. L’accueil d’une première en région est soumis à l’apport d’une coproduction de 15 000 euros sur l’un des trois spectacles. »

Parmi les 48 structures concernées : trois scènes nationales (Alès, Sète, Narbonne), des scènes conventionnées, des théâtres municipaux, les services culturels de villes moyennes et de communautés de communes… « Nous coproduisons en moyenne une dizaine de projets par an, dont au moins 1/3 systématiquement sous chapiteaux. » Le même rapport se retrouve ensuite sur la diffusion, selon un système singulier de "co-accueil" : « nous refinançons entre 20 et 50% des coûts des spectacles aux 48 structures avec lesquelles nous travaillons – sur une moyenne de 220 représentations pour une saison sur l’ensemble de la région. 65 à 75 ont lieu sous chapiteau ; une centaine a lieu dans des théâtres ou des lieux non dédiés, qui sont équipés en conséquence à chaque fois ; et une trentaine dans les lycées, assortie d’un programme d’action culturelle, sur un financement spécifique du Conseil régional Languedoc-Roussillon, hors convention du Pôle Cirque. »

Sensibilisation du réseau, mutualisation des moyens

Pour sensibiliser les partenaires, des rencontres sont régulièrement organisées, souvent en marge des représentations, à destination des directeurs d’établissements, des professionnels des communautés de communes, voire des élus. (Lire par ailleurs l’entretien avec Medhi Moussa) « C’est ce que j’appelle le militantisme cirque : des réunions pour parler des esthétiques du cirque, de l’interpénétration avec d’autres disciplines… Ces rencontres permettent de mutualiser les moyens pour monter de gros projets, même en zone rurale : par exemple, avec 4 ou 5 structures en convention avec le Pôle Cirque, nous montons un chapiteau de jauge moyenne – 300 à 400 places - dans des communes de 4 à 5 000 habitants, puis nous organisons des trajets en bus en provenance de villes voisines, avec les opérateurs chez lesquels nous travaillons par ailleurs. »

Un fonctionnement adapté à la longue gestation d’un spectacle de cirque, et à la rentabilité nécessairement liée à une exploitation étalée dans le temps qui en découle. La compagnie XY a ainsi passé beaucoup de temps en région pour affiner le spectacle Laissez porter : le spectacle se retrouve sur la programmation du Pôle Cirque pendant trois ou quatre saisons : « au même moment, a éclos la coproduction de leur nouvelle création, Le Grand C, en résidence trois semaines dans un lycée de Lozère, juste avant sa création au Cirque Théâtre d’Elbeuf en mai 2009. Lorsque nous avons co-accueilli le spectacle avec la Scène Nationale d’Alès en juillet, nous sommes sûrs qu’au moins 200 personnes ont fait le trajet depuis la Lozère, puisqu’elles avaient assisté aux prémices de la création deux mois auparavant. Le Grand C sera aussi présenté la saison prochaine sur deux autres départements, dans lesquels sera présenté au même moment Laissez porter. »

La Verrerie : instantané d’une réalité

Identifiée de manière tangible comme un acteur incontournable du domaine - rapidement labellisé Pôle Régional, puis très récemment Pôle National – La Verrerie jouit néanmoins d’une réalité physique encore trouble : « l’historique fort du cirque dans notre région s’apparente parfois aussi au domaine du fantasme. Nous sommes ainsi sur un lieu qui s’appelle La Verrerie, et qui pourtant n’est toujours pas ouvert ! C’est un lieu patrimonial au sens propre – une très belle fabrique de verre datant du XIXème siècle – qui véhicule un imaginaire fort : il a été investi par Archaos pendant 7 ans, puis fermé par la ville après le départ de la compagnie. La Ville d’Alès a accepté que des travaux s’engagent il y a 5 ans, pour que le Pôle Cirque s’y installe, mais les choses ne sont pas aisées dans les faits. Nous sommes sur le site, mais il n’est toujours pas en ordre de marche. Il semblerait que l’on s’achemine vers un accord Région / Département / Europe pour relancer les travaux à la rentrée, le lieu pourrait devenir effectif dès la saison prochaine. »

Selon la volonté ferme de Guy Périlhou, La Verrerie sera un lieu essentiellement dédié à la création et la résidence, la spécificité du Pôle Cirque restant de travailler sur une diffusion en réseau sur l’ensemble de la région. Deux projets à suivre la saison prochaine : développement du temps fort en novembre “Cirque en Marche”, en partenariat avec la scène nationale sur Alès (présentation des créations des compagnies accueillies en compagnonnage, organisation de plateaux issus de mini laboratoires) ; et deux temps forts les “Cirques au Pont” venant ponctuer la saison sur le site patrimonial du Pont du Gard (implantation d’un village de chapiteaux à l’automne ; et première en région de l’Epicycle du Cirk Vost - projet de grand aérien autour d’une grande roue, sous un chapiteau de 14m de hauteur, porté par des anciens des Arts Sauts implantés à 5 km d’Alès - , après sa création en janvier 2010 à Elbeuf).

SITES A VISITER