Le chapiteau du Collectif AOC Joep Lennarts

Cirque en 5 régions – Cirque en 5 départements

C’est une histoire de poupées russes, avec réaction dominos. Cinq régions s’alignent pour soutenir ensemble une création collective sous chapiteau – Autochtone, le nouveau spectacle du collectif AOC.

20.11.2009

Agora, Circa, Équinoxe - Scène nationale de Châteauroux, La Verrerie d'Alès, Le Sirque

Dans le chapeau de l’Aquitaine, une des cinq régions concernées, cinq départements, qui s’engagent aussi. Enfin, l’un de ces départements, la Dordogne, s’ouvre sur cinq lieux qui décident d’affréter un bus pour convoyer leur public sur le spectacle. Ou comment permettre à une jeune compagnie, grâce à un compagnonnage ad hoc, de monter une production relativement facilement et de vivre leur création de façon plus sereine, tout en initiant des villes plus ou moins « profanes » aux joies d’un accueil de chapiteau. Frédéric Durnerin, directeur de l’Agora de Boulazac, nous éclaire sur le pourquoi du comment.

Comment est née l’idée de « Cirque en 5 régions » ? Frédéric Durnerin : Au départ, c’est une idée commune des membres de Territoires de Cirque (TDC) : initier une action collective pour peser concrètement sur les formes artistiques que nous avons envie de défendre, notamment les grandes formes. En substance, est posée la question de la pérennité de la création cirque sous chapiteau. Le dispositif est aussi lié à la situation particulière d’AOC. La Syncope du 7 s’était imposé comme un spectacle emblématique des années 2000, période singulière où, sur les pistes, cela allait toujours plus vite, plus haut, plus fort. Après avoir suscité un engouement assez immédiat, le collectif sortait d’une aventure plus compliquée avec le deuxième spectacle, alors même qu’elle avait réussi à investir dans un chapiteau.

En quoi consiste le dispositif ? FD : C’est une action volontariste visant à faciliter la circulation d’une œuvre – l’une des plus grandes formes de l'année, avec 10 personnes sur piste - tout en développant dans ces cinq espaces géographiques les conditions du succès public. Cinq régions jouent donc le jeu à travers cinq lieux : l’Agora, scène conventionnée de Boulazac et Pôle de ressources régional, pour l’Aquitaine ; l’Equinoxe, scène nationale de Châteauroux pour la région Centre ; Circuits, scène conventionnée d’Auch, pour la région Midi-Pyrénées ; Le Sirque - Pôle Cirque de Nexon en Limousin ; et La Verrerie d’Alès en Cévennes - Pôle des arts du Cirque Languedoc-Roussillon (Lire par ailleurs dans ce dossier l’entretien avec Guy Périlhou). Nous coproduisons tous à la même hauteur le nouveau spectacle d’AOC, et tentons de renouer avec le sens de l’implantation d’un chapiteau (mise à disposition de l’outil chapiteau à des initiatives artistiques locales et associatives, multiplication des rencontres avec les amateurs, présence sur les sites de l’ensemble du convoi, …).

Quelles sont les dynamiques mises en œuvre ? FD : En tant que diffuseurs-coproducteurs, on peut vite se trouver isolés. A plusieurs sur un seul et même grand projet, indépendamment des autres engagements contractés par ailleurs, nous ajoutons de la lisibilité à TDC, à une création ; dans un contexte où la parole des tutelles sur la question du spectacle vivant en France est inaudible, cette action fait œuvre de politique publique. Le volontarisme des acteurs de terrain pallie l’absence assourdissante d’une quelconque parole institutionnelle sur ce qui se joue actuellement dans le champ du cirque. L’idée est artistique autant qu’institutionnelle, c’est une façon d’intervenir positivement sur le cours de la vie d’une compagnie. A Châteauroux par exemple, où AOC va jouer en septembre, on ne se contente pas d’une simple diffusion de spectacle : le chapiteau est mis à disposition pour des actions culturelles et locales. Nous avons agi sur ce qui se jouait dans l’équipe, sachant que le chapiteau induit la nécessité de penser différemment l’économie d’un spectacle en appelant une forme de générosité, un regard sur ce qui se passe autour de son implantation.

Quid de la diversité des œuvres défendues lorsque cinq régions se fédèrent autour d’un spectacle d’une compagnie ? FD : Les apports de coproduction de chacun ne permettent en rien de préempter le monopole de la diffusion ! Fort heureusement, des formes naissent et vivent en dehors de ce dispositif. En outre, cette opération crée un précédent pouvant faire école, pour la suite et avec d’autres compagnies. Pour autant, il y a peu de projets sous chapiteau, et les lieux concernés, malgré la diversité d’intervention qui les caractérise, ont assez vite fait le choix d’accompagner AOC. Je pense sincèrement que le parcours de cette compagnie renseigne l'histoire récente du cirque comme celle du Centre National des Arts du Cirque (CNAC) de Châlons-en-Champagne. Ils ont ouvert des pistes esthétiques, inventé des formes de leur temps, dialoguant avec ce qui se joue à l’extérieur de la toile. La Syncope du 7 est un spectacle des années 2000 et Autochtone dessine, avec une semblable énergie virtuose, une vision aigue de l’environnement économique et social de cette fin de décennie.

Comment décline-t-on un tel dispositif sur 5 départements ? FD : Avec la Région et l’Office Artistique de la Région Aquitaine (OARA), agence en charge du spectacle vivant, nous avons travaillé pour que les cinq départements d’Aquitaine (Gironde, Dordogne, Lot et Garonne, Landes, Pyrénées Atlantiques) accompagnent l’initiative. L’OARA prend en charge les frais d’approche de la compagnie, c’est-à-dire le transport du convoi et des artistes et les défraiements des repas. Cette aide à la diffusion, apportant une réelle valeur ajoutée à l’opération, a permis à des petites villes de jouer le jeu de l’accueil d’un grand chapiteau. Cela n’est pas anodin pour une région comme l’Aquitaine, territoire singulier dont le faible nombre de lieux institutionnels est historique. Il est intéressant de voir comment, à partir d’une politique nationale de coproduction commune (via Territoires de Cirque), il est possible de croiser sur le plan régional, avec d’autres lieux des départements, d’autres dispositifs… En cela, à la mobilité des œuvres s’ajoute celle des publics.

La région a connu d’autres expériences de coopération ? FD : Oui, par exemple, en 2004, l’OARA avait affrété un train spécial qui a emmené 500 bordelais à l’Agora de Boulazac pour découvrir Ola Kala, la création des Arts Sauts. Evidemment, une certaine malice a présidé à l’organisation de ce déplacement de spectateurs de la capitale régionale vers une ville de 7 000 habitants… Plus sérieusement, nous sommes sur des territoires ruraux, vastes, en recherche constante de nouvelles solidarités. Dans le contexte aquitain – l’avant-dernier des budgets régionaux dédiés à la culture, la dernière DRAC au titre de l’intervention sur les lieux, peu de compagnies conventionnées –, les coopérations sont primordiales. En 2005, nous avions réussi avec l’OARA à faire voyager un chapiteau de 250 places dans quatre villes de la région, avec le spectacle Autour d’elles de la compagnie Vent d’Autan. Mais il n’y avait encore jamais eu de programmes sur cinq départements. Et finalement, c’est grâce à de telles politiques en poupées gigognes que nous pouvons tenter de contrarier les difficultés du secteur de la diffusion. Cela combine, cela s’enchâsse et cela produit du résultat : de fil en aiguille, cinq centres de Dordogne ont fait le choix d’affréter un bus pour amener leurs spectateurs sur la dernière création d’AOC…

L’Agora de Boulazac a été labellisée « Pôle Ressources Régional » sur le cirque. Qu’est-ce que cela implique ? FD : C’est un label mis en place par la Région en 2003, qui a désigné 12 pôles ressources en Aquitaine. A ce jour, la Région est en train d’évaluer son dispositif, afin de décider si cette dimension d’une politique publique de la culture doit être maintenue. Au départ, c’est une belle idée devant permettre à un lieu ressource de penser la structuration du cirque de façon concertée sur le territoire. Jouant sur plusieurs niveaux, diffusion, coproduction, formation, il s’agit, non pas de renforcer une quelconque position hégémonique de l’Agora de Boulazac, mais de faire vivre des notions telles que réciprocité, échanges concertés, partage, coréalisation, conseil… A titre d’exemple, la Crida Company a été programmée cinq fois en Dordogne en 2008, et pour chaque intervention, l’Agora est intervenue à hauteur d’un tiers du financement. La compagnie a aussi été accueillie un mois en résidence à Bergerac, grâce à une aide de la DMDTS. La présence de cette jeune compagnie à Bergerac a permis de multiplier les possibilités de rencontres entre la compagnie et de nouveaux partenaires et publics. Pour autant, la faiblesse de ce dispositif peu doté financièrement a vite dessiné les limites de ces notions d’échanges et de réciprocité portées par l’Agora ; d’où l’évaluation régionale actuelle.

L’Agora de Boulazac est un lieu généraliste. Qu’est-ce qui vous a amené à aller si résolument vers le cirque ? FD : C’est vrai que le cirque à l’Agora représente entre un tiers et la moitié des accueils de spectacles, et la quasi exclusivité de notre politique de soutien à la création. Quand j’ai pris la direction de l’Agora en 1997/98, j’ai invité Où Ca ? de *Johann Le Guillerm. C’était l’un des premiers chapiteaux de cirque contemporain accueillis en Dordogne, et quasiment en Aquitaine. On ne pouvait rêver d’un accueil plus emblématique, fabuleux, et donc fondateur pour l’histoire du cirque à Boulazac qui pouvait, dès lors, s’écrire. Après la fin du festival Sigma à Bordeaux, il y a eu une sorte de vide… en Aquitaine. De ce fait, les accueils des Colporteurs, d’AOC, des Arts Sauts, de Johann Le Guillerm ont été regardés en Région comme des grandes aventures artistiques et économiques.

Avec cinq régions derrière, les AOC vont être cinq fois plus stressés, non ? FD : Dix fois plus stressés, même, si on compte les départements ! Mais c’est le jeu. Pour la compagnie, les enjeux artistiques sont forts, et on connaît la fragilité des créations, leur temps de maturation nécessaire… Ce véritable compagnonnage avec une équipe d’artistes talentueux et jeunes ouvre sur un spectacle de la maturité. Mais d’une maturité non assagie !

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